L’inhabituel : la rubrique du monde qui vient

Vous pourrez découvrir régulièrement ici des textes écrits par Bernadette Oriet se rapportant à l’ESS, à son actualité, à des thématiques liées socio-économiques et parfois à des coups d’humeur. Ces textes n’engagent que son auteure. Évidemment que d’autres auteurs pourront y contribuer.

Je voyage, donc je suis … responsable !

Entre tourisme alternatif et économie sociale et solidaire/commerce équitable, il n’y a qu’un pas ! En effet, on peut aisément franchir le pont qui relie ces deux pratiques chez plusieurs de nos partenaires, au Sud comme au Nord. Alors pourquoi, en cette veille de vacances, ne pas essayer de choisir un itinéraire touristique qui a un impact positif sur les populations locales ?

Depuis que Cuba a ouvert ses portes au tourisme, il espérait obtenir de nouvelles mannes. Malheureusement, les Cubains doivent constater que les investissements opérés dans ce secteur ont des retombées bien plus importantes pour les entreprises étrangères que pour les services indigènes.Les Égyptiens ont construit des murs d’enceinte autour du site d’Abou Simbel afin de canaliser le flux incessant des touristes. Ils ont considérablement modifié la perspective du site et entravé le regard sur ce site majestueux. La faute à la masse !Le Machu Picchu est « gardé » à son entrée par un tourniquet, une caisse et un hôtel 5 étoiles ! Face à l’afflux de touristes, le Pérou a réagi et il a fixé des quotas quotidiens pour la visite de l’une des sept merveilles du monde. Sur la plupart des grands marchés d’artisanat, s’amoncellent des articles en matériaux synthétiques de production semi-industrielle, imitant, à s’y méprendre, les merveilles que peuvent produire les artisans. Les touristes veulent pouvoir se procurer des souvenirs bon marché et font une pression indécente sur les prix. Et les artisans de répondre à leurs besoins, selon la logique de marché. C’est à en pleurer. On pourrait allonger la liste mais ceux-ci suffisent pour attester que le tourisme de masse a des effets pervers. Certains sites ont pris des mesures drastiques pour protéger leur patrimoine à l’image de la grotte Chauvet dont l’originale est interdite aux visiteurs. Par contre, une réplique fidèle de la grotte avec ses peintures rupestres, permet à tout un chacun d’accéder à ce patrimoine préhistorique, vieux de plus de 35’000 ans.

Le tourisme pointé du doigt !

La récente crise mondiale n’interdit pas les voyages. Bien au contraire, dirais-je ! La condition humaine veut que les terriens aient besoin de pratiquer des échanges diversifiés, d’explorer de nouveaux territoires et horizons, de côtoyer d’autres peuples pour se maintenir en éveil. Et pour éviter le repli sur soi, l’enfermement.

Toute société est le fruit d’immigrations diverses et si l’humanité n’avait pas connu les échanges, elle se serait sclérosée. Aller à la rencontre des Quechuas ou des Aymaras des Andes, des Dogons du Mali ou des Indiens du Rajasthan provoque inévitablement un choc des cultures, confronte à d’autres coutumes et croyances et oblige à sortir de nos zones de confort. Ce qui suscite la curiosité et le besoin de comprendre. L’utilisation des moyens de transport ne constituent pas un obstacle s’ils sont utilisés de manière profitable pour tous. Evidemment que les vols à bas prix contreviennent à une pratique responsable du voyage.

Voyager autrement

Cela fait déjà plusieurs années que des organisations se soucient des agressions touristiques. Elles alertent le public sur les atteintes de ces déferlantes touristiques, avides d’exotisme, de « curiosités ethniques », peu soucieuses des retombées sur l’environnement socioculturel et naturel. En 2002 et 2017, années internationales du tourisme, de nombreuses démarches ont été entreprises en faveur d’alternatives, même si en Suisse romande, nous n’en n’avons pas beaucoup parlé. En France TranSverseS est une association d’information et d’action sur le tourisme Nord-Sud qui propose une charte du voyageur. Elle est membre du réseau européen TEN (Tourism European Network) regroupant plusieurs partenaires dont le groupe suisse Arbeitskreis Tourismus und Entwiklung. Sa fondatrice et coordinatrice, Christine Plüss, a quitté son poste en 2019.

Le secteur touristique génère 9,1% de tous les emplois et représente 9% du total des dépenses des consommateurs au sein de l’Union européenne. Le tourisme figure donc parmi les industries clés les plus importantes du 21ème siècle. Le Forum européen sur le Développement durable a demandé que l’industrie touristique soit considérée comme secteur prioritaire dans le 6ème Programme d’Action pour l’environnement et la Stratégie européenne de développement durable (2011)

Par ailleurs, La Conférence mondiale du tourisme durable, réunie à Lanzarote (îles Canaries) avait déjà adopté la Charte du Tourisme durable en 1995 déjà. www.insula.org/tourism

Tourisme équitable/solidaire
Créée en 2006, l’ATES (Association pour le Tourisme Equitable et Solidaire), est un réseau français et professionnel de spécialistes du tourisme équitable et solidaire (30 membres). Elle est reconnue au niveau international comme organisation de référence d’un tourisme alternatif, devant bénéficier aux populations visitées. L’ATES définit, anime et délivre un Label du Tourisme Equitable qui respecte la Charte du Tourisme Equitable et Solidaire (50 critères). Ce Label accessible aux voyagistes l’est aussi depuis https://www.tourismesolidaire.org
Le guide TAO France vient d’être publié par les Editions Viatao. Il donne deux mille idées et adresses pour voyager engagé et l’ATES est partenaire du guide. Il encourage les voyageurs à donner du sens à leurs vacances et donne des clés pour que leurs séjours aient un impact positif.
Quelques exemples d’agences offrant de multiples possibilités de séjours, loin du clinquant et du superficiel des offres des agences traditionnelles : Vision du Monde, TDS Voyage, Terre des Andes, Culture contact, Alter échanges, Peuples et Nature, La case d’Alidou.

Dans les pays du Sud
Ce qui est bon pour l’Europe devrait l’être, a priori, pour les pays du Sud. Même s’il est très difficile pour ces pays de mettre en place des stratégies de développement touristique qui bénéficient d’abord aux populations locales, faute de capacités politiques, de moyens financiers, institutionnels et structurels, un nouvel espoir est né avec la création d’agences locales. Le centre de gravité de certaines d’entre elles s’est déplacé tel que Terra Mexico, Terra Guatemala ou Evaneos (visite de la côte amalfitaine). Elles ont leur siège sur place ou ont des filiales dans les pays choisis et ce sont ces dernières qui organisent le séjour : propositions de tours ou organisation selon les demandes spécifiques des clients. Le gros avantage de ce système, c’est que l’agent connaît parfaitement le pays pour y vivre et qu’il peut faire découvrir des lieux insolites et mettre en contact avec des familles ou des groupes spécifiques de la population (j’ai profité de Terra Guatemala, gérée par Tristan, un Français établi depuis plus de dix en Amérique centrale. Je lui ai demandé de réserver des hébergements sur mon parcours et de m’informer sur les moyens de transport. Archi simple et le tout bouclé en deux jours, au téléphone et pour un prix raisonnable).

Par conséquent, c’est aux agences de voyage, aux touristes des pays du Nord (et du Sud) et aux voyagistes du Sud qu’il incombe d’adopter des conduites responsables et respectueuses.

Les petits voyagistes proposant des produits plus pointus sur le plan environnemental et socioculturel ont de la peine à s’imposer sur un marché dominé par des tour-opérateurs qui pratiquent la guerre des bas tarifs. « Les grands voyagistes doivent offrir à leur clientèle des produits qui ne soient plus uniquement axés sur le prix. Mais le client doit aussi apprendre à modifier ses comportements et être plus exigeant concernant la qualité des prestations qu’on lui propose » affirmait Christine Plüss. Certains l’ont compris et il semble bien qu’un changement soit amorcé.

J’ajouterais que cette responsabilité exige de chacun qu’il s’interdise de s’adonner au pillage culturel et de céder à la tentation de se procurer des articles de pacotille, folklorisés, inondant souvent les grands marchés. Ce d’autant plus, que les groupes d’accueil, offrant aux visiteurs de vraies possibilités d’échanges et de l’artisanat de belle facture, se multiplient. Ces dernières sont très souvent conduites par des organisations du commerce équitable ou de tourisme solidaire. Désormais, l’offre est abondante et à titre d’exemple, je peux en citer quelques-unes que je connais :

« Pachamama Turismo alternativo » qui est issue de la collaboration entre le CIAP (Centrale Interrégionale des Artisans du Pérou, CE et le partenaire de Solidar’monde en France), le RELACC-Peru (Réseau Latino-Américain de Commercialisation Communautaire) et 7 organisations de base situées dans 4 départements du territoire péruvien.  CD-Afrique est une ONG, reconnue d’intérêt général, créée par des scientifiques, des enseignants et des professionnels du développement rural intégré pour soutenir, dans une démarche solidaire et citoyenne, la mise en oeuvre de projets de coopération et de développement en Afrique. ICD-Afrique est actuellement présent au Sénégal, au Bénin en Algérie et en Tunisie.

Le « Fondo ecuatoriano populorum progressio » (FEPP) et Camari qui soutiennent le projet de tourisme écologique avec un Hotel El Refugio et des visites guidées dans la communauté de Salinas, située à 3550 m, dans les Andes équatoriennes https://www.camari.org

ATES – ICDF Afrique : Balade à travers la mangrove à la rencontre du peuple Diola et de sa culture – 12 jours (Sénégal). CD-Afrique est une ONG, reconnue d’intérêt général, créée par des scientifiques, des enseignants et des professionnels du développement rural intégré pour soutenir, dans une démarche solidaire et citoyenne, la mise en oeuvre de projets de coopération et de développement en Afrique. ICD-Afrique est actuellement présent au Sénégal, au Bénin en Algérie et en Tunisie. https://www.tourismesolidaire.org/destinations/senegal/balade-travers-mangrove-rencontre-peuple-diola-et-de-sa-culture-12-jours

Bonnes vacances et sans remords !

Bernadette Oriet

Voyager
Quand le tourisme de masse est né, on a vraiment cru qu’il ouvrait la porte à une rencontre des cultures, à une nouvelle forme d’échanges entre Nord et Sud, entre riches et pauvres. Maintenant qu’il est devenu la plus importante industrie du monde, on constate qu’il s’est parfois retourné contre les populations qui, à part quelques-unes, en bénéficient peu. Il suffit pourtant de peu de choses pour infléchir ce redoutable engrenage, sans que les vacances en soient gâchées, au contraire.

Sergio Ferrari

LA CHARTE DU TOURISME EQUITABLE ET SOLIDAIRE

1.La relation avec les partenaires accueillants et l’organisation de voyages

  • L’opérateur organise des séjours en partenariat avec les habitants et/ou acteurs du territoire qui sont au cœur du processus d’accueil. Il favorise ainsi la rencontre et l’échange dans la conception de ses offres.
  • L’opérateur choisit en priorité des partenaires à taille humaine et ancrés dans la collectivité.
  •  L’opérateur construit son offre de manière à maximiser l’impact sur l’économie locale des territoires d’accueil, dans le respect de leurs équilibres économiques, sociaux et environnementau

2. Les engagements en faveur du développement local

  • L’opérateur organise son fonctionnement et fixe le prix de ses voyages de manière à dégager des ressources à affecter à un fonds de développement.
  • Ce fonds est alloué aux populations d’accueil.

3. La sensibilisation du voyageur, la transparence et la communication

  • L’opérateur informe et sensibilise ses voyageurs sur les principes du voyage solidaire et sur chacune de ses destinations (situation économique, sociale et culturelle, us et coutumes, situation environnementale)
  • L’opérateur met à disposition du voyageur la décomposition du prix de ses voyages.
  • L’opérateur informe les voyageurs sur ses actions de développement et de préservation de l’environnement.

L’opérateur milite pour le tourisme équitable et solidaire et le respect de ses principes. Il s’engage à promouvoir le réseau ATES.


À propos de Danone

Alerte sur la planète des puissants ! Pour paraphraser Jacques Brel, chez ces gens-là on ne pense pas, on accumule ! Et la pandémie du covid ne leur a soufflé aucun soupçon d’humanité.

Au prétexte que le PDG de Danone, Emmanuel Faber, aurait négligé le volet économique de l’entreprise, il vient d’être limogé. Les analystes de l’économie conventionnelle nous ont fait la démonstration de leur rationalité mathématique : depuis l’arrivée de Faber, le cours des actions de Danone n’a progressé que de 3%, celui de Nestlé de 45% et celui d’Unilever de 72%, Et d’ajouter : Emmanuel Faber s’est trop occupé des volets sociaux et écologiques. Il paye, au prix fort, sa stratégie d’avoir fait de la multinationale Danone une entreprise à mission.

L’aventure de Danone commence avec Antoine Riboud en 1972, puis se poursuit avec Franck Riboud qui crée le Fonds Danone pour la nature, alimenté pour partie par les actionnaires. Franck Riboud et Mohammad Yunus, le fondateur des Grameen Bank au Bangladesh, s’associent pour produire des yaourts enrichis destinés aux enfants en déficit de nourriture.

Emmanuel Faber ? Un être inspirant, qui lisait Kant à quinze ans, qui a passé une année chez Mère Teresa, qui a fait plusieurs séjours dans des bidonvilles et, qui va encore dormir de temps en temps avec les sans-abris à Paris. Il aura encore fait l’expérience de la contradiction entre le temps long de l’apprentissage et le temps court de l’entreprise.

Avec ces PDG pétris d’humanisme, animés par une vision sociale et écologique de l’entreprise, j’ai cru que nous pouvions compter sur eux pour changer de logique économique. Il semble bien qu’il en sera autrement encore un certain temps.

Dommage que Danone n’ait pas réussi à faire démentir les propos de M. Maurer, administrateur-délégué de Nestlé : « Qu’on soit un individu, une entreprise ou un pays, l’important pour survivre dans ce monde, c’est d’être plus compétitif que son voisin » !

La justice immanente sera au rendez-vous de ces cyniques.

Bernadette Oriet, avril 2021


Pas de transition écologique sans mutation économique et sociale

« Scrute la nature, c’est là qu’est ton futur » disait déjà Léonard de Vinci (1452 – 1519).

Cette injonction sonne comme un ordre à réintégrer la nature que notre humanité a désertée dès l’aube de la civilisation industrielle et du progrès linéaire. Non seulement, elle s’en est séparée par la pensée mais elle a acquis la certitude de pouvoir la dominer au moyen des sciences et de la technique. Sans retenue et sans égard pour ce corps vivant, les sociétés humaines continuent à s’en servir et à l’exploiter.

Aujourd’hui, c’est elle qui nous met au défi de maintenir les conditions d’habitabilité des terrestres. Certes, les individus sont concernés à titre personnel mais la responsabilité de la collectivité est aussi engagée. Les gestes citoyens, aussi importants soient-ils, ne suffiront pas à inverser la tendance forte du réchauffement climatique. Convenons toutefois qu’il nous manque des éléments d’analyse pour déterminer quelle est la part des humains dans ce changement. La terre a toujours connu des périodes alternant refroidissements (glaciations) et réchauffements (mers dans nos régions). Ce qui, par contre, est nouveau, c’est l’accélération avec laquelle ce réchauffement s’opère. Dans un temps générationnel, nous parvenons désormais à observer ce changement. Voici une anecdote qui en atteste : j’ai vécu durant trois et demi dans les Andes péruviennes à 3’800 mètres d’altitude, une région où la limite des arbres se situait à 3’200 mètres. Nous gérions, pour le compte d’une Association locale, une École d’agriculture et 200 ha de terres, sur lesquelles aucun arbrisseau ne poussait. Trente ans plus tard, c’est une forêt qui couvre les terres sur lesquelles nous cultivions des pommes de terre et les restes de notre maison sont enfouis dans les arbres (le Centre a été détruit par le Sentier lumineux). C’est déstabilisant d’assister à une telle transformation.

Quelles peuvent bien être les clés dont nous disposons pour contrecarrer une telle progression ? Une première évidence : c’est aux humains de s’adapter à la nature. Cesser de la regarder et de la penser de l’extérieur, car elle constitue une partie de notre essence. Préparer nos esprits à l’apocalypse (dans le sens de dévoilement) et restaurer la réciprocité avec la terre, qui nous est donnée. Les sociétés traditionnelles avaient l’habitude de convoquer les dieux, soit la Terre-Mère, le Soleil, les Montagnes ou l’Eau pour leur faire des offrandes et les implorer d’intercéder en faveur de bonnes récoltes. Encore aujourd’hui, les mineurs des Andes requièrent la permission d’entrer dans la mine en payant une offrande à Tayta (le père en quechua), représenté physiquement par un grand mannequin noir. Elle consiste en chicha (boisson de maïs) et feuilles de coca.

L’économie capitaliste-matérialiste et la sécularisation de la société ont opéré une rupture radicale avec cette conception du lien vivant avec la nature. 

Elle a oublié que le principe du don et du contre-don est au fondement des sociétés humaines. La vie sociale est marquée de sceau de la fusion qui s’établit avec la nature et les forces spirituelles. Pour qu’elle continue à se montrer féconde et généreuse, la terre doit recevoir, de la part des humains, l’équivalent des extractions opérées à travers le monde. Avec l’avènement de la société industrielle, ils se contentent de lui donner des produits inertes (produits de synthèse, goudron…). En physique des particules élémentaires, ce sont les gluons qui sont porteurs de cette interaction et la force forte est responsable de la cohésion des protons et des neutrons au sein du noyau de l’atome. Le monde macroscopique est en quelque sorte une réplique du monde microscopique et par analogie, une interaction forte lie aussi les humains et la nature, ce qui leur interdit de rompre ce trait d’union au risque de provoquer des cataclysmes.

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à cette réalité-là et nous n’avons d’autre choix que de changer de paradigme. Encore une fois, c’est un autre rapport à la terre, aux humains et au sens que nous avons à inventer. Une révolution économique, sociale et écologique que l’ESS est à même d’initier ou de renforcer. Avant d’emprunter le chemin des pratiques concrètes, il faut reconnaître que la nature et l’humain c’est UN ; que l’abstrait et le concret c’est UN ; que l’économique et le social c’est UN et que le corps et l’esprit c’est UN. Si nous sortons de notre pensée binaire, nous aurons, à coup sûr, plus de chances de pouvoir satisfaire nos besoins matériels et immatériels d’humain et de développer des capacités relationnelles innovantes avec nos pairs et notre environnement.

Bernadette Oriet, février 2021


Demain sera autrement

Non seulement parce que la vie s’écoulant obéit à la logique du « tout change ». Mais aussi par le fait que la crise actuelle nous fait ressentir de nouvelles vibrations et aspirations. Je ne veux pas jouer les prophètes mais tenter d’exprimer les aspirations essentielles que les humains auront à traduire en relations nouvelles et en actes concrets, dès aujourd’hui.

Changer, disions-nous ! C’est notre condition d’être au monde et il n’y a pas de doutes que nous emprunterons de nouveaux chemins. Des changements qui ne seront pas déterminés si nous acceptons de les soumettre à notre liberté de choix. Changer et choisir, tels sont les défis auxquels l’humanité a été confrontée dès qu’elle a acquis la conscience.

Parmi les vibrations que nous sentons, il y a ce besoin de se libérer de notre prétention à maîtriser le temps et l’espace pour faire place à l’aléatoire et à la fluidité. Il y a cette fatigue au tout matérialisme, au tout comptable, aux innombrables algorithmes. Seules 12 plantes supportent les 75% de nos besoins alimentaires alors que nos corps ont besoin de diversité. Il y a aussi les ritournelles des médias scandées chaque jour jusqu’à l’absurde et qui nous placent dans l’indignation. Dans quel but ? Probablement pour nous divertir du vrai bruit du monde.

Les humains ne vont pas échapper à leur condition, à leur ex-sistence (leur vie en dehors de l’UN). Et nous savons que l’ESS est un système capable de renouveler les rapports entre les dimensions sociales, individuelles, économiques et écologiques. Notre système socio-économique tente, depuis des générations, de mettre les humains en boîte, convaincu de tout pouvoir maîtriser, mais il est aujourd’hui confronté aux perturbations mondiales provoquées par une nanoparticule de coronavirus dont le diamètre moyen est de 0,125 nanomètre (1 nm représente un milliardième de mètre) !!! Ni les scientifiques, ni les économistes, ni les penseurs n’avaient imaginé subir une telle « revanche » de la nature.

Rien n’est prévisible et nous en sommes réduits à l’humilité. Mais ce à quoi les humains ne pourront échapper, c’est à ce quelque chose qui se loge au plus profond de la conscience humaine qui peut rendre les hommes plus solidaires et plus justes. Ce quelque chose, c’est l’esprit, celui qui donne du sens à ce que chacun fait.

Les changements fiables que nous réussirons à opérer dépendront fatalement de notre capacité à faire confiance à notre destinée.

Souvenons-nous que :

« Le monde ayant éternellement besoin de vérité, aura éternellement besoin d’Héraclite », Nietzsche

« Cet univers
le même de toute chose
nul ni dieu ni homme ne l’a fait
mais toujours il était et il sera
feu toujours vivant
S’allumant en mesure
s’éteignant en mesure. », Héraclite

« On ne peut pas entrer deux fois dans le même fleuve », Héraclite

 Bernadette Oriet, décembre 2020


Un défi de notre temps

Vivons-nous la fin de l’économie libérale, du règne du quantitatif et du tout matérialisme ? Beaucoup l’espèrent et s’emploient à formuler de nouveaux concepts et de nouvelles pratiques. Beaucoup pensent aussi que l’après-coronavirus ne sera plus comme avant. Quant à savoir si ces projets prendront racine, il est trop tôt pour le dire. Mais nous pouvons déjà émettre l’hypothèse que si le système économique va subir leurs coups de boutoir, ceux-ci ne parviendront pas à le contraindre de changer de paradigme.

Des actions disparates n’y suffiront pas ; il faudra une approche holistique et une révision en profondeur de l’approche scientiste (mathématique) qui sépare la raison et l’esprit, le quantitatif (conscience quantitative) et le qualitatif (conscience qualitative). Même dans le domaine social, les objectifs fixés doivent se traduire en résultats quantitatifs et mesurables. Nous vivons sous la houlette du chiffre et du déterminisme mathématique qui a déjà perverti l’essence même de l’humanité. Selon Ernest Renan (1848).

« Organiser scientifiquement l’humanité, tel est donc le dernier mot de la science moderne, telle est son audacieuse mais légitime prétention»

Mais nous savons que l’être humain est capable d’adaptation mais aussi de résilience et de transcendance. L’immobilisme le condamnerait à sa disparition. En revanche, son instinct de survie (instinct animal), son aspiration à l’émancipation et ses capacités créatives l’incitent à tenter de nouvelles formules. Ainsi en est-il du système économique de notre ère moderne.

Dans la jungle des nouvelles économies, dont certaines sont enseignées dans les universités, essayons de repérer celle qui fait le plus de sens pour nous :

  • l’économie résiliente qui s’appuie sur l’auto-conservation et l’auto-régulation (référence à la résilience de Boris Cyrulnik)
  • l’économie de la sobriété solidaire – référence à Pierre Rabhi. Ici, la sobriété concerne la dépense énergétique
  • l’économie circulaire (système de boucles de rétroaction) – optimisation de l’utilisation des matières premières et des énergies
  • l’économie du partage, issue d’internet (sharing économie) – Warmshowers par ex.
  • l’économie du libre, nouveau modèle de gouvernance économique et technologique (inspiré du logiciel libre)
  • l’économie des Communs, pratique du Commun par la pérennisation du droit d’usage, abolition de la propriété
  • l’économie collaborative, modèle économique qui repose sur le partage et l’échange, forme d’économie révolutionnaire
  • la décroissance ou l’art du moins dans la consommation, dans la production, dans la distribution – notion apparue dans les années 1970 à la suite du rapport Meadows, le rapport des Limites. On ne peut continuer à croître indéfiniment dans un monde fini.
  • le développement durable – cette expression est apparue pour la première fois dans le Rapport Bruntland, en 1987 : « le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Le développement durable est une conception de la croissance et non pas un nouveau système économique.
  • l’économie sociale et solidaire (ESS). Ce concept développé en France par Jean-Louis Laville dans son livre paru en 1994 « Économie solidaire , une perspective internationale », est certainement le plus global, celui qui envisage d’inverser les priorités en économie. Dans son approche, elle englobe la défense de valeurs, la réconciliation des aspects sociaux et écologiques,  le privé et le public et fonde l’économie sur le principe de la solidarité.

L’ESS est donc celle que APRÈS-BEJUNE a choisi de promouvoir. En Suisse, nous avons encore beaucoup à faire pour qu’elle s’enracine dans la réalité quotidienne des gens et qu’elle parvienne à constituer un mouvement de fond.

Un défi de notre temps et pour notre futur.

Bernadette Oriet, octobre 2020


Penser l’économie autrement

La crise que nous vivons révèle une fois de plus que nous avons à opérer des transformations de tous ordres, tant sur le plan individuel que collectif. L’ESS, cette autre économie constitue une voie royale pour des changements. Encore faut-il que cette idée qui a été conceptualisée dans les années 90 par l’économiste  français Jean-Louis Laville s’enracine dans une pratique nouvelle. Ce qui est le cas pour certaines entreprises, associations et coopératives dans notre région mais aussi ailleurs en Suisse et dans le monde. Plus que jamais, il y a lieu de poursuivre nos efforts et cette rubrique a l’ambition d’y  contribuer.

L’ESS se fonde sur la manière de penser l’économique à partir du sujet social. Un thème que nous développerons au fur et mesure des rubriques en présentant des cas concrets. Mais pour l’heure, nous avons à sortir du confinement avec la responsabilité de ne pas reproduire ce qui est en train de nous conduire au désastre.

« Le XXIè siècle sera spirituel ou ne sera pas » affirmait Malraux. Que vient-faire ici le spirituel, me direz-vous ? Tout. D’abord, le spirituel n’est pas le religieux et partir des conditions de vie de l’être humain pour opérer des changements est essentiel. Vivre pour l’être humain signifie à la fois vivre biologiquement, être en relation avec d’autres et donner un sens à ses actes qui dépassent la réalité (conquête incessante de l’être spirituel). Nous aurons à rétablir une unité de sens à propos de la séparation (la dualité) que nous avons établie entre la vie et la mort, le corps et l’esprit, l’humanité et la nature, l’économique et le social. Nous aurons à nous réconcilier avec soi-même (qui n’est pas une chose) et avec la vie (qui n’est pas une marchandise). Sans ce travail en profondeur, il sera difficile de pouvoir opérer des transformations sur le long terme.

C’est au cœur de l’existence humaine que se situe l’économie. Elle est œuvre de vie et ne peut avoir d’autre sens que le service de la vie. Ce qui est en question dans l’économie, c’est la vie de notre espèce et la conquête de son statut d’humanité. Dès lors, l’acte économique ne saurait être réduit à la production, à l’échange et à la consommation de biens matériels et de services, ajustés par des prix et des quantités. Agir économiquement, c’est agir selon un principe de « raisonnabilité ». C’est la prise en compte simultanée de critères d’efficacité et éthiques en cherchant à réaliser des aménagements ordonnés au « comment vivre » et « pourquoi vivre » de la communauté humaine. L’économie neo-libérale s’est éloignée de manière abyssale de ce projet, au point que son analyse nous donne le vertige.

Il y a urgence de penser autrement et de faire advenir un monde autre. L’ESS au cœur d’Après-Bejune s’y emploie, plus qu’hier mais moins que demain si vous le voulez bien. 

Bernadette Oriet, mai 2020

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